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NOS ENGAGEMENTS  

Libertés & le COVID-19.

RESTRICTIONS DES LIBERTES

En mettant en berne l’ensemble des droits et libertés d’une population tout entière, l’état d’urgence sanitaire a surclassé son homologue sécuritaire de 2015. Le plus incroyable est qu’en dépit de la gravité des restrictions de liberté instaurées il n’existe pas de certitudes, ni sur la nature juridique du « confinement » sanitaire, ni sur la conformité d’une telle mesure à l’article 66 de la Constitution. Les informations que délivre la décision du Conseil constitutionnel du 11 mai 2020, à propos des mesures de quarantaine et d’isolement prises à nos frontières, permettent cependant de lever en grande partie le voile et interrogent, par-delà, sur l’incidence de l’acceptation de la contrainte dans la mise en cause de la liberté individuelle. L’idée, bien connue des juristes, selon laquelle la liberté individuelle constitue le bouclier de toutes les autres libertés contre un État Léviathan aura été marquée au fer par 55 jours de confinement dans l’esprit de plus de 60 millions de Français. Parce que cette liberté fondamentale protège toute personne contre les arrestations et les détentions arbitraires, le respect de l’article 66 de la Constitution est la première garantie de l’exercice de toutes les autres libertés individuelles. Les faits viennent de le démontrer : sans liberté individuelle, point de liberté de déplacement, ni de vie privée et familiale normale, ni de liberté de réunion, de manifestation ou d’exercice collectif de la liberté religieuse. La rhétorique guerrière du président de la République, qui aurait été certainement mieux comprise si elle avait pu se traduire par le déclenchement des pouvoirs exceptionnels de l’article 16 de la Constitution, a donné lieu à une déferlante de restrictions de liberté en tous genres, adoptées pour la bonne cause sanitaire mais sans véritable débat ni contrôle démocratique. Dans le même temps, la justice a été mise sous cloche : toutes les audiences ont été suspendues à l’exception de celles triées sur le volet, même devant le Conseil constitutionnel, et les règles essentielles de procédure, notamment celles relatives au contradictoire, ont été adaptées au vu des circonstances dans une proportion amenant la Cour de cassation à brandir la menace de nullités de procédures judiciaires en cascade à la sortie de la crise sanitaire.

En dépit d’une activité intensive marquée par une centaine de recours liés au Covid-19 en l’espace seulement de 2 mois, la contribution du Conseil d’État sur le terrain des droits et libertés est finalement décevante. Aux prises avec la dualité de ses fonctions, il n’a pas fait montre de l’indépendance que l’on aurait souhaitée. Force est de constater que presque tous les recours présentés devant lui ont été rejetés alors que, rétrospectivement, l’état d’urgence sanitaire s’est montré nettement plus agressif pour les libertés individuelles que son jumeau sécuritaire de 2015. Le caractère souvent cosmétique des rares ordonnances de censure prononcées par rapport à la gravité des atteintes portées aux droits et libertés donne même le sentiment que le Conseil d’État s’est livré à une justice de communication en filtrant le moustique pour laisser passer le chameau pour reprendre la formule célèbre de Jean Rivero. Garantir l’utilisation du vélo pour les déplacements autorisés durant le confinement au nom de la liberté d’aller et venir a de quoi faire pâle figure lorsque, dans le même temps, c’est sans sourciller, et parfois même sans audience, que le Conseil d’État a validé la prolongation automatique des détentions provisoires, le maintien des étrangers atteints de Covid-19 dans les centres de rétention administrative ou qu’il a refusé de sanctionner l’insuffisance des mesures gouvernementales prises pour protéger les personnes sans abri, les détenus et les personnels soignants face au risque de contamination du virus. Tout bien considéré, son action au point culminant de la crise sanitaire n’aura finalement permis de consacrer qu’un « cluster » juridique venu ébrécher la doctrine gouvernementale réservant les moyens de protection aux seuls personnels soignants. Ainsi, dans une ordonnance rendue le 20 avril 2020 à la suite d’un recours présenté par les ordres des avocats des barreaux de Paris et de Marseille demandant qu’il soit enjoint à l’État d’assurer leur protection sanitaire dans l’exercice de leur mission d’auxiliaires de justice, le Conseil d’État a fini par concéder, pour la première fois depuis le début de la crise sanitaire, qu’il incombe à l’État « tant que persiste cette situation de pénurie, d’aider les avocats qui, en leur qualité d’auxiliaires de justice, concourent au service public de la justice, à s’en procurer lorsqu’ils n’en disposent pas par eux-mêmes, le cas échéant en facilitant l’accès des barreaux et des institutions représentatives de la profession aux circuits d’approvisionnement ». Il s’agit là d’une maigre victoire pour les libertés individuelles puisque la charge de la protection continue de peser sur les avocats eux-mêmes. Mais, cette ordonnance n’en reste pas moins le seul véritable sursaut d’indépendance du juge administratif face à la dictature temporaire du fait sur le droit.

Ce constat, aussi inquiétant que paradoxal dans un État de droit, révèle néanmoins une chose : que le juge administratif n’a pas pu, dans des circonstances à la fois exceptionnelles et si gravement dramatiques, se départir des faits pour garantir une protection effective des libertés individuelles en refusant, notamment, de se laisser influencer par le constat de la pénurie des masques de protection et des tests de dépistage disponibles sur notre territoire. Dans un tel contexte, il a préféré ne pas désavouer l’action gouvernementale dans sa lutte contre l’épidémie et éviter d’ordonner des injonctions qu’il savait les pouvoirs publics incapables de satisfaire. La protection des droits subjectifs des individus, au premier chef le droit à la vie, a donc dû s’incliner devant la tyrannie d’un ordre public sanitaire déployé au nom du devoir de l’État de garantir la santé de tous. Et finalement, peu importe que ce soit à raison de sa déférence naturelle envers l’État ou au vu de la nécessité impérieuse de faire corps avec lui face à la pandémie, le résultat est que la haute juridiction administrative s’est révélée, au bout du compte, une alliée précieuse dans la mise en œuvre de la politique sanitaire du gouvernement au détriment des libertés individuelles. Il faut néanmoins bien convenir que la prise en compte du fait est inhérente au contrôle exercé par le juge administratif ; elle est même à l’origine de la théorie des circonstances exceptionnelles portée par la jurisprudence Heyriès du 28 juin 1918 et systématisée par le commissaire du gouvernement Letourneur dans ses conclusions sur l’arrêt Laugier. Il est ainsi de jurisprudence constante que l’Administration peut, dans certaines circonstances de lieu et de temps, s’affranchir des exigences de légalité. Mais l’inquiétude devient légitime lorsque l’État de droit s’accoutume aux régimes d’exception en acceptant un état d’urgence « sanitaire » improvisé sur le fondement fragile d’une disposition empruntée au Code de la santé publique. Le législateur a dû intervenir afin de ramener dans la légalité les décisions annoncées par le président de la République et destinées à enrayer la propagation de l’épidémie du Covid-19 sur notre territoire. La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 a déclaré un état d’urgence sanitaire, calqué sur le modèle de l’état d’urgence régi par la loi du 3 avril 1955, sur l’ensemble du territoire national pour une période de 2 mois. Cette déclaration a permis de conférer au Premier ministre et au ministre de la Santé, aux seules fins de faire face aux situations de catastrophe sanitaire, de larges prérogatives permettant de restreindre lourdement les droits et libertés. Déclinées dans le cadre d’un décret du Premier ministre, modifié et complété à 13 reprises depuis son entrée en vigueur, les mesures prescrites par le gouvernement pour lutter contre l’épidémie du Covid-19 sont trop nombreuses pour en faire un inventaire exhaustif.

La publication au Journal officieldu 11 mai 2020 du décret de « déconfinement » du territoire national avec la liste des départements en vert et rouge n’a pas marqué la fin de l’état d’urgence sanitaire pour autant. En raison des menaces continuant de peser sur la santé de la population, le Parlement a reconnu la nécessité de prolonger l’état d’urgence sanitaire et de desserrer le confinement à travers un allégement progressif des mesures de restrictions imposées depuis le 17 mars 2020 plutôt que d’y mettre un terme définitif. Le ton a ainsi été donné : les restrictions de liberté accompagnant la période de confinement continueront à s’appliquer, avec toutefois une rigueur atténuée, tant que durera la crise sanitaire. C’est dans cet esprit que la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 est venue proroger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020 (au lieu du 23 juillet comme le souhaitait initialement le gouvernement) et maintenir un certain nombre de mesures de restriction et de contrôle à même d’éloigner le risque d’une seconde vague de contamination14. Sortant de leur torpeur, les institutions démocratiques, bien qu’acquises à la cause sanitaire, ont saisi de concert le Conseil constitutionnel pour qu’il se prononce, pour la première fois depuis le début de la crise, sur la constitutionnalité des lourdes atteintes portées aux droits et libertés de toute une population. Trois saisines émanant respectivement de députés, de sénateurs et du président du Sénat sont venues ainsi s’ajouter à celle initiée par le président de la République dans une stratégie de communication politique.

Même si, contrairement au Conseil d’État, le Conseil constitutionnel s’est bien gardé de faire la moindre allusion aux circonstances de fait exceptionnelles ou même d’évoquer, comme il l’avait fait lors de l’examen de la loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, « les circonstances particulières de l’espèce », l’analyse de la décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 montre cependant que le fait n’est pas resté hors du prétoire du juge constitutionnel. Certes, évoquer l’influence des faits sur le contrôle du juge constitutionnel peut de prime abord surprendre au vu de l’opinion traditionnelle selon laquelle ce dernier ne connaît que le droit en déployant les effets de son interprétation uniquement sur le rapport de constitutionnalité opposant la règle de droit inscrite dans la Constitution à celle adoptée par le législateur. Pourtant, il serait dans le même temps naïf de croire les Sages enfermés dans une tour d’ivoire lorsqu’ils opèrent leur contrôle sur la loi ; leur fonction les oblige, d’une manière ou d’une autre, à tenir compte de la réalité des faits et à en tirer les conséquences du point de vue tant de la compréhension de la norme législative que de l’interprétation de la norme constitutionnelle. Ils le font déjà pour assurer le caractère vivant de la Constitution ; la décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 atteste qu’ils le font également lorsqu’ils sont confrontés à des situations hors norme, le propos étant alors de déterminer dans quelle propension des circonstances de fait peuvent influencer l’interprétation de la norme constitutionnelle. Parmi les dispositions contestées de la loi prorogeant l’état d’urgence, seules celles organisant le régime des mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement retiendront notre attention parce qu’elles seules mettent en cause la liberté individuelle. L’analyse de la décision commentée montre qu’après avoir, dans un premier temps, opposé strictement les faits au droit , le Conseil constitutionnel a néanmoins jugé opportun, dans un second temps, d’adapter les garanties attachées à l’article 66 de la Constitution pour tenir compte d’un contexte factuel d’une exceptionnelle gravité.

LE "FAIT" SAISI PAR L'ARTICLE 66 DE LA CONSTITUTION: UN DUEL INEDIT OPPOSANT L'ORDRE PUBLIC SANITAIRE A LA LIBERTE INDIVIDUELLE

« Protéger, tester, isoler » sont les trois mots d’ordre de la stratégie mise en place par le gouvernement pour faire face à la pandémie. Parmi ces principes, le dernier est sans nul doute celui dont la mise en œuvre a posé le plus de difficultés sur le terrain des libertés aboutissant à la mise en place d’un contrôle sanitaire d’une portée inédite sur l’ensemble du territoire national ainsi qu’à ses frontières. À l’intérieur de nos frontières, les mesures de police prises sont évidemment bien connues. Par décret en date du 16 mars 2020, le Premier ministre a interdit jusqu’au 31 mars 2020 le déplacement de toute personne hors de son domicile à l’exception de déplacements limitativement autorisés, dans le respect des mesures générales de prévention de la propagation du virus et en évitant tout regroupement de personnes. Cette politique de « confinement » sanitaire s’est poursuivie jusqu’au 13 mai 2020, date à laquelle le gouvernement a jugé le moment venu de desserrer, par étapes successives, l’étau sur les libertés jusqu’à atteindre un déconfinement total espéré dans le courant de l’été. Dans ce climat particulier, les mesures de police instaurées aux frontières sont passées plus largement inaperçues jusqu’à ce qu’intervienne la décision faisant l’objet du présent commentaire. Au cœur de la critique : les articles L. 3131-5 et L. 3131-17 du CSP. Hors état d’urgence sanitaire, deux dispositions du Code de la santé publique (CSP) autorisent le placement en isolement, pour des raisons sanitaires, de personnes arrivant de l’étranger.

D’abord, son article L. 3115-10 autorise le représentant de l’État à « prendre, par arrêté motivé, toute mesure individuelle permettant de lutter contre la propagation internationale des maladies, notamment l’isolement ou la mise en quarantaine de personnes atteintes d’une infection contagieuse ou susceptibles d’être atteintes d’une telle infection, sur proposition du directeur général de l’agence régionale de santé ». Toutefois, parce qu’elles s’inscrivent dans le cadre bien précis de la lutte contre la propagation internationale des maladies et qu’elles sont issues de la transposition en droit français du règlement sanitaire international de 2005, ces mesures de « quarantaine » et de « placement en isolement » ne sont applicables qu’en cas de franchissement des frontières. Ensuite, l’article L. 3131-1 du même code autorise le ministre chargé de la Santé, en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, à prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. C’est sur ce fondement discutable que le Premier ministre est d’abord intervenu et par son jeu légitime qu’a en revanche été prescrite, le 30 janvier 2020, par arrêté de la ministre de la Santé, la mise en quarantaine des personnes ayant séjourné dans la région de Wuhan en Chine. Néanmoins, cet environnement législatif n’est pas apparu de nature à limiter les risques d’importation du virus dans des zones « Covid-free », car les pouvoirs publics entendaient également soumettre à un contrôle renforcé les personnes circulant entre l’Hexagone et les collectivités situées outre-mer ou arrivant en Corse. C’est la raison pour laquelle la loi du 23 mars 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire a introduit deux nouvelles dispositions dans le Code de la santé publique :

  • d’une part, l’article L. 3131-15 (3° et 4°) autorisant, par décret réglementaire dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre à ordonner la mise en quarantaine des personnes susceptibles d’être infectées ainsi que le maintien en isolement à leur domicile, ou tout autre lieu d’hébergement adapté, des personnes infectées ;

  • et d’autre part, l’article L. 3131-17 qui permet au représentant de l’État dans le département soit de prendre les mesures d’adaptation locale des mesures prescrites au niveau national, soit d’agir en lieu et place des autorités gouvernementales lorsque les mesures envisagées ne sont que de portée locale.

Compte tenu de l’indécision dont a fait preuve le gouvernement au moment de leur instauration, ce dispositif n’a fait l’objet d’aucun encadrement juridique précis par le Parlement. Aussi, afin de sécuriser dans un contexte de reprise des déplacements le recours à des mesures fortement restrictives, voire privatives, de liberté, les articles 2 et 3 de la loi déférée ont introduit un II à l’article L. 3131-15 du CSP afin de déterminer, d’une part, les circonstances dans lesquelles le Premier ministre peut ordonner la mise en œuvre de mesures de quarantaine ou de placement et maintien en isolement et d’encadrer, d’autre part, les conditions dans lesquelles les décisions individuelles de placement en quarantaine ou à l’isolement peuvent être prises par le préfet. Mise en quarantaine ou placement en isolement ne rime pas avec « confinement » sanitaire. Tout amalgame malheureux doit être impérativement évité : la « quarantaine » ou « l’isolement » dont il est question n’a rien de comparable avec le « confinement » sanitaire auquel a été soumis l’ensemble de la population française entre le 17 mars et le 13 mai 2020. Les dispositions législatives sur lesquelles le Conseil constitutionnel s’est prononcé concernent principalement les restrictions de liberté dont les individus peuvent faire l’objet à leur arrivée sur le territoire français. En application du II de l’article L. 3131-15 du CSP, « le placement et le maintien en isolement ne peuvent viser que les personnes qui, ayant séjourné au cours du mois précédent dans une zone de circulation de l’infection, entrent sur le territoire national, arrivent en Corse ou dans l’une des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution ».

Des mesures de quarantaine ou de mise en isolement sont donc possibles à l’égard de toute personne, y compris un citoyen français venu de l’étranger ou arrivant sur ces territoires insulaires depuis le territoire métropolitain. En revanche, on notera qu’a été abandonnée au cours des débats, l’idée de soumettre les personnes arrivant sur le territoire métropolitain en provenance des territoires insulaires à des mesures identiques dès lors que rien n’a justifié, aux yeux des parlementaires, que les personnes en cause puissent être soumises à un régime plus contraignant que n’importe quel autre individu circulant entre deux autres départements du territoire hexagonal. Précisons également que, compte tenu de leur caractère d’« extranéité », ces restrictions de liberté ont été définies à la lumière de l’article 1er du règlement sanitaire international de 2005 : la mise en quarantaine s’entend ainsi de la mise à l’écart du reste de la population des personnes asymptomatiques ou probablement infectées de manière à prévenir la propagation éventuelle de la contamination alors que le placement et le maintien en isolement visent les personnes malades ou contaminées dans le but d’arrêter la propagation de la contamination. Il s’ensuit que si de telles mesures sont prises par décision individuelle motivée du préfet, sur proposition du directeur de l’agence régionale de santé, seul le placement en isolement est soumis à la « constatation médicale de l’infection de la personne concernée » et à la présentation au préfet d’un certificat en faisant état. Par ailleurs, le II de l’article L. 3131-15 du CSP a prévu une alternative dans la mise en œuvre de pareilles mesures. Dans le régime le plus rigoureux, le placement en isolement ou en quarantaine s’accompagne d’une interdiction de toute sortie hors du domicile ou du lieu de quarantaine ; dans le régime le moins contraignant, des permissions de sorties peuvent être consenties et assorties de l’interdiction de fréquenter certains lieux. En dépit des réels efforts du Parlement pour en baliser l’utilisation, la constitutionnalité du régime de la quarantaine et l’isolement a été mise en doute par l’ensemble des requérants, y compris par le chef de l’État désireux de lever tout doute quant à sa constitutionnalité. Aux yeux des parlementaires, les dispositions législatives contestées mettaient à la fois en cause la liberté d’aller et venir, garantie par les articles 2 et 4 de la déclaration de 1789, et la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution. Et, l’insuffisance des garanties légales entourant la mise en œuvre de ces deux catégories de mesure de police ainsi que le manque de différenciation du régime applicable à l’une et l’autre les conduisaient à dénoncer le caractère déséquilibré de la conciliation opérée par la loi entre les libertés fondamentales en cause et l’ordre public sanitaire constitutif d’un objectif de valeur constitutionnelle découlant du 11e alinéa du préambule de la Constitution de 1946 en vertu duquel la Nation « garantit à tous (…) la protection de la santé ». Toutefois, et comme il le fait à chaque fois depuis la décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999 restreignant le champ d’application de l’article 66 de la Constitution aux seules privations de liberté, le Conseil constitutionnel s’est, avant toute chose, attaché à déterminer la norme de référence applicable au regard de la nature des mesures de police en présence.

LA MISE EN QUARANTAINE ET LE PLACEMENT EN ISOLEMENT 

Les informations présentes dans la loi pour définir la nature des mesures de police sont plutôt minces puisqu’à l’exception du champ d’application, les conditions de mise en œuvre de ces mesures, en particulier leur durée, les obligations qu’elles peuvent inclure, les lieux où elles s’exécutent, les garanties offertes aux personnes qui en font l’objet ainsi que les conditions d’exercice d’un suivi médical, ont été renvoyées au pouvoir réglementaire. Dans ce contexte, seul le sixième alinéa du paragraphe II de l’article L. 3131-15 du CSP était de nature à éclairer le juge constitutionnel : « Dans le cadre des mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement, il peut notamment être fait obligation à la personne qui en fait l’objet de “ne pas sortir de son domicile ou du lieu d’hébergement où elle exécute la mesure, sous réserve des déplacements qui lui sont spécifiquement autorisés par l’autorité administrative” et de “ne pas fréquenter certains lieux ou catégories de lieux ».

La nature privative de liberté de la mesure de surveillance sanitaire dépend de la sévérité du confinement. De ces quelques indications législatives, le Conseil constitutionnel a déduit que les mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement constituent une privation de liberté lorsqu’elles se traduisent par « l’isolement complet de la personne en application d’une interdiction de toute sortie ». Dans le cas contraire, elles doivent donc être considérées comme de simples restrictions du droit de toute personne de se déplacer librement, échappant en conséquence à l’emprise de l’article 66 de la Constitution.

Néanmoins, parce que les chemins menant à la liberté individuelle sont trop sinueux pour se limiter à un contrôle des apparences, l’effectivité de la garantie contre les détentions arbitraires implique toutefois de débusquer les privations de liberté partout où elles se trouvent. C’est pourquoi, dans la logique du principe dégagé par la décision n° 92-307 DC du 25 février 1992 établissant qu’une restriction de liberté peut, à raison de ses modalités d’exécution, produire des effets comparables à ceux d’une privation de liberté, le Conseil constitutionnel a également tenu à mesurer le « degré de contrainte » résultant de la mise en œuvre des mesures de surveillance sanitaire impliquant un isolement partiel. Transposant mécaniquement le raisonnement suivi pour les assignations à résidence lors de l’état d’urgence sécuritaire, les Sages ont ainsi jugé qu’une mise en quarantaine ou un placement en isolement emporte des effets comparables à un isolement complet lorsque la surveillance sanitaire contraint l’intéressé à « demeurer à son domicile ou dans un lieu d’hébergement pendant une plage horaire de plus de 12 heures par jour ».

Il faut donc retenir que toute mise en quarantaine ou placement en isolement bascule dans le champ d’application de l’article 66 de la Constitution chaque fois que l’une ou l’autre se traduit soit par un isolement total de la personne soit par son confinement pendant une période de plus de 12 heures par jour. Dans tous les autres cas, de telles mesures ne sont que de simples restrictions de liberté dont la constitutionnalité doit alors être examinée au regard des seuls articles 2 et 4 de la déclaration de 1789.

Chemin faisant, le Conseil constitutionnel apporte une indication nouvelle venant affiner la portée du critère des effets ou des modalités d’exécution d’une restriction de liberté sur l’identification des privations de liberté. Sa jurisprudence sur l’état d’urgence sécuritaire avait en effet laissé en suspens la question des modalités de computation de la durée journalière de 12 heures. On ignorait jusqu’alors si l’activation de l’article 66 de la Constitution devait être strictement limitée aux mesures partielles de privation de liberté impliquant un confinement journalier de 12 heures consécutives ou si elle pouvait s’étendre à un confinement de 12 heures morcelées dans une même journée. À travers la réserve d’interprétation qu’elle nous livre, la décision commentée laisse entendre que les deux situations peuvent être retenues, l’intransigeance de l’appréciation du Conseil constitutionnel étant finalement réservée au respect de ce seuil de 12 heures indépendamment des modalités de computation permettant de l’établir. Une distinction a prioriinutile. La variabilité du degré d’atteinte portée à la liberté d’aller et venir autorisait le législateur à établir une différence dans le traitement contentieux des mesures de contrôle sanitaire selon que la personne était ou non autorisée à sortir du lieu de confinement. La chose n’a pas échappé au Conseil d’État qui, dans son avis du 4 mai 2020, indiquait que l’institution d’un régime particulier pour les mesures de quarantaine ou d’isolement dont les modalités particulières interdisent toute sortie de l’intéressé hors du lieu où ces mesures se déroulent était de nature à satisfaire aux exigences à l’article 66 de la Constitution qui impose que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l’autorité judiciaire. Ce qui revenait, a contrario, à établir la compétence des juridictions administratives pour connaître de toutes les mesures n’imposant qu’un confinement partiel. Le législateur a cependant fait un tout autre choix. Usant de la marge de manœuvre que lui confère la jurisprudence constitutionnelle dans l’application des règles de répartition des compétences juridictionnelles, il a confié au juge judiciaire le contrôle de toutes les mesures prises sur le fondement de l’article du L. 3131-15 du CSP. Mais il ne s’est pas arrêté là ; il a étendu la compétence judiciaire à l’ensemble des situations dans lesquelles des mesures de quarantaine et d’isolement peuvent intervenir. C’est donc l’ensemble des mesures de surveillance sanitaire, même lorsqu’elles n’imposent qu’un isolement partiel, qui échappent à la compétence du juge administratif, le contrôle du juge judiciaire s’exerçant tant sur les mesures individuelles prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire qu’en cas de menace sanitaire grave en application des dispositions de l’article L. 3131-1 du CSP. L’émergence de ce nouveau bloc de compétences au bénéfice du juge judiciaire a été motivée par le seul souci de respecter les exigences constitutionnelles et conventionnelles. Le Conseil d’État avait en effet mis en garde le gouvernement sur la nécessité de revoir le dispositif prévu par l’article L. 3131-1 du CSP dès lors que les mesures individuelles susceptibles d’être prises dans ce contexte restaient soumises au seul contrôle du juge administratif même lorsqu’elles emportaient mise en quarantaine ou placement en isolement. La haute juridiction a été entendue par le Sénat qui, dans sa grande sagesse, a donc proposé une unification du contentieux de l’ensemble des mesures de quarantaine et d’isolement, qu’elles soient ou non privatives de liberté.

On se dit alors qu’un tel monopole rendait totalement superflue la recherche de la nature des mesures individuelles de contrôle sanitaire. La circonstance que le Conseil constitutionnel se soit, malgré tout, plié à l’exercice n’apparaît donc pas anodine. La réserve d’interprétation qu’il livre à ce stade de la décision constituait en effet plus qu’une piqûre de rappel du périmètre de l’article 66 de la Constitution, elle laissait surtout présager une censure d’autant plus évidente que le Conseil constitutionnel n’a tiré, sur le fond, aucune conséquence de la distinction ainsi établie. C’est au regard de la seule liberté individuelle qu’il a examiné les modalités de mise en œuvre du confinement, qu’il soit partiel ou total, et c’est également par un renvoi au raisonnement tenu à l’aune de l’article 66 de la Constitution à propos des mesures de confinement sanitaire qu’il a écarté toute violation de la liberté d’aller et venir s’agissant des restrictions de fréquentation de certains lieux ou catégories de lieux, comme si la différence de protection séparant ces deux libertés devait se réduire à la clause de compétence juridictionnelle découlant de l’affectation de l’une ou bien de l’autre. Un dispositif législatif validé sur le fond. Ancrant son contrôle sur l’article 66 de la Constitution, le Conseil constitutionnel rappelle une nouvelle fois ce qu’il avait dit à propos de l’état d’urgence sécuritaire, à savoir que le fait que la Constitution n’exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence sanitaire, ne saurait le dispenser de concilier les intérêts divergents en présence, et, en l’occurrence, « d’assurer la conciliation entre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République ». Ce faisant, est par là même affirmée l’ambition du juge constitutionnel d’étendre le rapport de proportionnalité, commandant que la liberté individuelle ne fasse pas l’objet d’une rigueur excessive, à l’ensemble des circonstances particulières susceptibles d’inciter le législateur à restreindre le contenu du précepte constitutionnel. Établissant le lien de causalité entre les mesures de police contestées et la loi d’urgence, la décision commentée souligne que si « l’objet des mesures de mise en quarantaine et de placement en isolement est d’assurer la mise à l’écart du reste de la population des personnes qui en font l’objet en les soumettant à un isolement, le cas échéant complet, dans le but de prévenir la propagation de la maladie à l’origine de la catastrophe sanitaire », de telles mesures ne peuvent, selon les termes de la loi, « être prononcées et mises en œuvre que dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ».

À la suite de quoi, l’examen attentif des garanties légales entourant l’exécution des mesures de surveillance sanitaire conduit le Conseil constitutionnel à juger que « le législateur a fixé des conditions propres à assurer que ces mesures ne soient mises en œuvre que dans les cas où elles sont adaptées, nécessaires et proportionnées à l’état des personnes affectées ou susceptibles d’être affectées par la maladie à l’origine de la catastrophe sanitaire ». Il faut avouer que les assemblées parlementaires n’ont eu de cesse de verrouiller le dispositif, au cours des débats, en égrenant un chapelet de garanties propres à éloigner tout risque d’inconstitutionnalité : limitation du champ d’application des mesures de police aux seules personnes ayant séjourné au cours du mois précédant leur arrivée sur le territoire dans une zone de circulation de l’infection, fixation de liste des zones de circulation de l’infection par arrêté du ministre chargé de la Santé et information régulière du public pendant toute la durée de l’état d’urgence sanitaire, encadrement de la durée des mesures de police, liberté de choix du lieu de confinement, levée de la mesure de police dès que l’état de santé de la personne le permet, indication des voies et délais de recours dans la décision préfectorale, information sans délai du procureur de la République, protection des personnes et enfants victimes de violences visées à l’article 5159 du Code civil 30, information claire et précise de la population et incompétence des préfets pour définir le cadre réglementaire d’application des mesures. Il n’est donc pas erroné de dire que les circonstances de fait exceptionnelles ont finalement aiguisé la vigilance du législateur au lieu de le conduire à accepter des aménagements dans la protection de la liberté individuelle. Il serait même tentant de conclure à ce stade de l’analyse qu’à l’instar des autres cours constitutionnelles européennes, les circonstances d’urgence n’apparaissent pas de nature à entraver l’intensité du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel lorsqu’est en cause la première des libertés fondamentales. On relèvera toutefois que, dans une situation similaire, à propos notamment d’une loi d’emergenza adoptée pour lutter contre le terrorisme, la Cour constitutionnelle italienne est allée plus loin en verrouillant la démonstration par une réserve d’interprétation aux allures de mise en garde adressée aux pouvoirs publics en formulant expressément que les mesures de police deviendraient inconstitutionnelles si elles devaient être indûment prorogées dans le temps.

Plus fâcheux encore est de relever que le brevet de constitutionnalité a été acquis sur la base d’une motivation par renvoi aux seules dispositions législatives, sans répondre à l’ensemble des griefs avancés par les requérants. Il est en particulier choquant de constater qu’a été ignoré lors du contrôle le maillon faible de la loi, à savoir le fait qu’une personne saine puisse être privée de sa liberté physique pendant 1 mois sur les seuls dires du directeur de l’agence régionale de santé sans aucune expertise médicale pour venir les étayer. Le Conseil constitutionnel a donc cédé à ses mauvais penchants en s’abstenant, une nouvelle fois, d’examiner les griefs les plus embarrassants. Car l’intérêt pratique d’éloigner du reste de la population des personnes apparemment saines, mais potentiellement contaminées, était parfaitement audible. Pouvait-il pour autant accepter, par un silence complice, que toute personne ayant circulé dans une zone infectée le mois précédent puisse se voir privée de liberté alors que l’opinion scientifique a fixé la période maximale d’incubation du virus entre 2 et 3 semaines ? Inversement, quelle garantie peut donc bien offrir un certificat médical lorsque son absence peut aboutir, de la même manière, à une privation de liberté ? On se dit, dans ces conditions, que les doutes des requérants méritaient assurément d’être dissipés et qu’au-delà, ils étaient également de nature à justifier, à défaut peut-être d’une censure, pour le moins une réserve d’interprétation bien plus nécessaire en vérité que celle intervenue pour éclairer le domaine d’application de l’article 66 de la Constitution.

LE CONFINEMENT A DOMICILE: PRIVATION OU SIMPLE RESTRICTION DE LIBERTE ?

Contrairement à ce qui a pu être écrit, cette question n’a pas été expressément examinée par le Conseil constitutionnel. Le fait par ailleurs qu’elle ne lui ait même pas été posée au cours des 2 mois où le pays s’est arrêté aurait de quoi interpeller le juriste sur l’effectivité de notre État de droit et des mécanismes contribuant à assurer la protection de nos droits et libertés. La Nation a-t-elle subi une privation de liberté arbitraire sans qu’absolument personne ne daigne lever le petit doigt ? Une réponse positive serait lourde de conséquences aussi bien sur le plan politique que juridique. De surcroît, en dépassant les limites de nos frontières hexagonales pour embrasser tous les continents, une telle question est même devenue universelle ; aucun juriste n’ayant pu, intellectuellement, faire l’économie d’un tel questionnement. Dans le même temps, aucune cour constitutionnelle, aucun juge constitutionnel, aucune cour suprême n’a censuré, au nom de la liberté individuelle, l’astreinte à domicile ordonnée à l’échelle nationale par les gouvernements. La Cour constitutionnelle du Kosovo a censuré le gouvernement au motif que le texte constitutionnel impose que les atteintes portées aux droits et libertés soient expressément autorisées par la loi. Quant à la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, saisie d’un recours constitutionnel contre des mesures réglementaires prises par le gouvernement de la Bavière en application de la loi du 20 juillet 2000 « de protection contre les infections » (modifiée en mars 2020), elle a jugé que les restrictions de liberté décidées, quoique particulièrement graves, n’étaient pas pour autant déraisonnables au vu de la situation sanitaire de l’un des principaux clustersallemands de l’épidémie, admettant ainsi temporairement la prévalence de l’intérêt général sur l’intérêt individuel, la primauté du droit à la vie et de l’intégrité physique sur la liberté individuelle.

Le rapport entre le consentement de la personne et l’affectation de la liberté : une problématique au cœur de la stratégie gouvernementale. La question de la nature du confinement sanitaire a mis en lumière les rapports entre la notion d’ingérence étatique dans la sphère individuelle et le libre arbitre de toute personne dans l’exercice de ses droits fondamentaux : peut-il y avoir privation de liberté si la personne qui en fait l’objet y consent expressément ou tacitement ? Orienter de la sorte le projecteur sur un principe d’autodétermination de la personne face à la mesure de contrainte revient à considérer que l’entrave portée à une liberté fondamentale, telle que la liberté individuelle, emporte la nécessaire démonstration de l’affectation corrélative du libre arbitre de la personne qui la subit, comme si cette dimension subjective n’allait pas de soi et n’était pas intrinsèque à la limitation objective de l’exercice d’un droit fondamental. Avec cette vision, la coercition caractérisant l’entrave n’est plus simplement objective, elle devient également subjective en ce que la limitation imposée à l’exercice d’un droit fondamental, en l’occurrence le droit de se déplacer à sa guise, doit être exclusive de tout consentement express ou tacite de la personne. Pour la Cour européenne des droits de l’Homme, la chose est claire : l’absence de consentement de la personne est une condition de l’activation de l’article 5 du texte conventionnel ; il ne peut donc y avoir de privation de liberté sans cet élément subjectif, même si matériellement la personne est privée de sa liberté physique. Selon elle, la définition de la privation de liberté doit donc reposer sur deux éléments complémentaires : une limitation, d’abord, dans l’exercice du droit de circuler (élément objectif) et, une atteinte, ensuite, à la libre détermination de ses déplacements (élément subjectif). Puisque l’entrave doit être totale pour que la liberté individuelle soit affectée par-delà la liberté d’aller et venir, la privation de liberté s’entend en conséquence comme un « enfermement » non consenti visant à s’assurer physiquement du maintien d’une personne, contre son gré, dans un lieu qu’il ne lui est pas autorisé de quitter pendant une durée déterminée.

Cette approche théorique n’est évidemment pas sans conséquence pratique. Ainsi, selon la Cour européenne, le placement forcé dans un foyer social d’un incapable majeur constitue une privation de liberté, parce que son absence de capacité juridique ne signifie pas nécessairement qu’il soit incapable de comprendre quelle est sa situation et, par conséquent, de refuser de s’y soumettre36. En revanche, elle écarte toute implication de la liberté individuelle lorsque le placement forcé dans un foyer a pour objet de protéger les intérêts de la personne qui, une fois arrivée au foyer, accepte d’y rester. Dans ce dernier cas, la Cour de Strasbourg écarte donc toute mise en cause de la liberté individuelle bien que la requérante ait été placée contre son gré dans un foyer où elle est contrainte de demeurer. L’impact de l’approche subjective de la restriction de liberté sur l’applicabilité de la norme de protection a été particulièrement bien mis en évidence par la Cour de Strasbourg à propos de l’astreinte à domicile imposée aux sportifs de haut niveau dans le cadre de la lutte contre le dopage. Rappelons brièvement à cet égard qu’afin de permettre la réalisation de contrôles inopinés, les sportifs professionnels appartenant au groupe « cible » défini chaque année par l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) sont contraints d’informer à l’avance, pour chaque trimestre, les autorités de contrôle du lieu où les contrôleurs sont assurés de les trouver chaque jour durant un créneau de 1 heure. Le Conseil d’État a estimé que pareille obligation de localisation ne mettait nullement en cause la liberté individuelle que l’article 66 de la Constitution place sous la protection de l’autorité judiciaire ni ne faisait « obstacle à la liberté d’aller et de venir des sportifs ». La Cour de cassation s’est montrée plus explicite encore en jugeant qu’une telle mesure « ne constitue pas par elle-même, une restriction à la liberté d’aller et de venir », se déclarant en conséquence incompétente pour connaître d’une question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l’occasion d’une action dirigée contre l’autorité administrative indépendante en l’absence d’atteinte à un droit ou une liberté placée sous la protection de la seule autorité judiciaire. Prenant acte de l’interprétation convergente des cours suprêmes, les juges de Strasbourg ont considéré unanimement que, quoiqu’objectivement restrictive de liberté, une telle assignation à domicile ne mettait pas en cause leur liberté d’aller et venir ni, par voie de conséquence, leur liberté individuelle au motif que la détermination du lieu d’assignation et de l’horaire était laissée à l’entière discrétion des sportifs qui restaient par ailleurs libres de quitter le pays de résidence sous réserve d’indiquer leur nouveau lieu de résidence. Le critère subjectif faisant défaut pour considérer la liberté fondamentale affectée, ils ont par conséquent conclu à l’inapplicabilité de l’article 2 du protocole n° 4. Une telle approche subjective est également au cœur de la stratégie gouvernementale à l’origine du confinement sanitaire conçu, rappelons-le, comme un isolement volontaire et consenti. Lors de son allocution devant l’Assemblée nationale le 28 avril 2020, le Premier ministre a en effet très largement évoqué la responsabilisation de chaque citoyen en déclarant notamment que : « L’isolement doit être expliqué, consenti et accompagné. Notre politique repose, à cet égard, sur la responsabilité individuelle et sur la conscience que chacun doit avoir de ses devoirs à l’égard des autres. Nous prévoirons des dispositifs de contrôle, au cas où ils seraient nécessaires, mais notre objectif est de nous reposer largement sur le civisme de chacun »

 

En raison de sa dangerosité, un tel raisonnement est absolument à proscrire. Le premier danger tient à son caractère éminemment subjectif et aléatoire dans la mesure où il conduit à présumer de l’intention de la personne titulaire du droit fondamental. De plus, poussé à son terme, il est de nature à justifier l’exclusion de catégories entières de personnes de l’empire de la protection de l’article 66 de la Constitution, à commencer par toutes celles que l’on considère dans l’incapacité de pouvoir exprimer un consentement éclairé. On se souvient qu’une telle idée a été, par le passé, défendue par le Conseil d’État à propos des personnes atteintes de troubles mentaux et placées sous la contrainte dans des établissements psychiatriques. Elle pourrait être étendue aux enfants mineurs, et pourquoi pas également aux personnes placées en cellule de dégrisement, comme l’a suggéré le gouvernement dans ses observations. On sait toutefois que, dans cette dernière situation, le Conseil constitutionnel a écarté toute violation de l’article 66 de la Constitution en dépit de l’absence d’intervention du juge judiciaire, mais il l’a fait en motivant sa décision non pas à raison du manque temporaire de discernement des personnes impliquées, mais compte tenu de la brièveté de la privation de liberté. Le second danger d’une approche subjective tient ensuite à ses conséquences mêmes. Admettre qu’une entrave objective à l’exercice d’un droit fondamental ne puisse en elle-même suffire pour considérer l’atteinte constituée revient à restreindre sensiblement la notion de restriction de liberté au sens large. Un tel schéma de pensée apparaît cependant complètement artificiel en cherchant à justifier l’inconcevable : le fait qu’une coercition puisse être consentie. C’est oublier que toute mesure de police s’accompagne d’un régime de sanctions. Une telle approche apparaît difficilement compatible avec la notion d’ingérence négative des pouvoirs publics dans la sphère individuelle qui suppose une coercition heurtant frontalement la liberté de choix de la personne dans l’exercice de ses droits fondamentaux. Peut-on véritablement considérer que les sportifs ciblés font librement le choix de rester confiner quotidiennement 1 heure par jour tout au long de l’année quand le fait de trouver porte close lors d’un contrôle inopiné aboutit à une interdiction temporaire de toute participation à des compétitions sportives ? Peut-on légitimement penser que toute une population aurait respecté le confinement sanitaire si, en même temps, n’avait pas plané le risque d’une verbalisation en cas de transgression, ou pire, d’une condamnation à une peine de 6 mois de prison et à 3 500 € d’amende en cas de violation, à plus de trois reprises, des règles du confinement sur une période de 1 mois ?

C’est la raison pour laquelle la mise en cause de la liberté d’aller et venir, qu’il s’agisse des sportifs ciblés ou des personnes confinées pour des raisons sanitaires, s’impose incontestablement, quoi qu’en disent les juges des droits fondamentaux, dès lors que la loi est venue imposer, dans les deux cas, une obligation de faire restreignant l’exercice du droit reconnu à toute personne de circuler librement. C’est la raison pour laquelle, également, il n’est pas possible de souscrire à l’analyse du Conseil d’État lorsqu’il soutient, dans son avis sur le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, que « la possibilité reconnue par la loi de la dispense de l’intervention du magistrat judiciaire si la personne y consent est adaptée à la nature du motif de la mesure privative de liberté et à la finalité de celle-ci ».  Car de deux choses l’une : soit l’isolement sanitaire est librement choisi et, dans ce cas, il ne peut y avoir de privation de liberté puisqu’en s’isolant, la personne ne fait alors qu’exercer sa liberté d’aller et venir de façon négative, soit l’isolement sanitaire est vécu de manière contraignante, et il s’agit alors d’une privation de liberté. Refuser de garantir les droits d’une personne sous prétexte qu’elle se soumet à la contrainte ne revient ni plus ni moins qu’à dénaturer gravement l’esprit même de la Constitution et l’universalité des droits qu’elle garantit. Le fait qu’une personne ne soit pas menottée, incarcérée ou maîtrisée physiquement d’une manière ou d’une autre n’est pas un élément décisif lorsque le juge statue sur l’existence d’une privation de liberté.

 

De même, l’intention du titulaire d’un droit fondamental doit être sans incidence lorsque la personne est placée sous le coup d’une mesure de police. Il est donc heureux que le Conseil constitutionnel ne se soit pas aventuré dans cette voie ; la décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2000 n’a manifestement attaché aucune importance au fait que le législateur ait laissé la personne libre de choisir le lieu de sa mise en quarantaine ou de son placement en isolement. On peut donc supposer qu’il en soit de même pour le « confinement » sanitaire, ôtant ainsi toute pertinence à la question de savoir si une telle mesure a été subie ou, au contraire, consentie.

Privation de liberté et rigueur de la contrainte : une problématique au cœur du confinement sanitaire. En vérité, la seule véritable question qui importe est celle de savoir si le degré de contrainte résultant d’un tel confinement était de nature à affecter la liberté individuelle au-delà de la liberté d’aller et venir. L’application sous cet angle des principes dégagés par le Conseil constitutionnel depuis 1999 conduit à devoir distinguer deux situations. La première concerne toutes les personnes contraintes de demeurer à leur domicile sans pouvoir retourner sur le lieu de travail. La nature privative de liberté du « confinement » sanitaire qu’elles ont subi ne fait aucun doute au regard de la position constante du Conseil constitutionnel qui considère qu’une restriction de liberté imposant un confinement de plus de 12 heures par jour met en cause la liberté individuelle. Or par hypothèse, compte tenu de la nature et de la durée des autorisations de sortie consenties par le pouvoir réglementaire, une telle assignation au domicile, quoique non permanente, suppose une astreinte bien supérieure à 12 heures par jour. En conséquence, s’il s’apparente à une restriction de liberté au regard de son seul objet, le confinement sanitaire doit être analysé, en raison de ses effets et de sa durée, comme une privation de liberté tombant sous le coup des exigences de l’article 66 de la Constitution.

Les termes du problème sont en revanche quelque peu différents à l’égard des personnes qui ont pu poursuivre leur activité professionnelle. Cette circonstance suffit-elle à écarter pour autant toute affectation de la liberté individuelle ? Au vu de la jurisprudence constitutionnelle la plus récente, il semble bien que cela puisse être effectivement le cas. Dans la décision n° 2014-450 QPC du 27 février 2015, le Conseil constitutionnel a jugé que la sanction militaire de la mise aux arrêts, qui a pour objet de restreindre la possibilité pour le militaire de se déplacer comme il le souhaite en dehors des heures de service, affecte exclusivement la liberté d’aller et de venir. Par analogie, le confinement sanitaire devrait donc, dans le même sens, revêtir le degré de contrainte d’une simple restriction de liberté. Si ce scénario semble des plus probables en l’état actuel de la jurisprudence constitutionnelle, cela ne signifie pas qu’il faille y souscrire en bloc pour autant. La dimension comparatiste montre en effet que la frontière entre privation et restriction de liberté peut s’avérer particulièrement fluctuante et que l’appréciation des juges des droits fondamentaux, qu’il s’agisse de la Cour de Strasbourg ou des autres cours constitutionnelles européennes, peut s’avérer différente face à des situations comparables. Ainsi, pour le Tribunal constitutionnel espagnol, la mise aux arrêts à domicile d’un garde civil ne constitue pas une restriction de liberté, mais bien une privation de liberté dès lors que, selon lui, « il n’existe pas de zones intermédiaires entre la liberté et la détention ». C’est la raison pour laquelle, à ses yeux, une assignation à domicile ne saurait perdre son caractère privatif de liberté sous prétexte que la personne concernée serait autorisée à se rendre quotidiennement sur son lieu de travail. Tout dépendra finalement de la manière dont le juge des droits fondamentaux pose les termes du problème ; l’angle d’approche retenu conditionnant inéluctablement le sens de la décision qui sera rendue. Soit le confinement au domicile est appréhendé, ab initio, comme une restriction de liberté, aggravée par une astreinte à domicile, conduisant alors le juge des droits fondamentaux, en positionnant le pendule sur la liberté d’aller et venir, à considérer la liberté individuelle affectée dans des situations limitées (plage de plus de 12 heures pour le Conseil constitutionnel). Soit, à l’inverse, le confinement au domicile est présenté comme une privation de liberté « allégée » compte tenu de l’existence d’une autorisation de sortie d’ordre professionnel déplaçant alors le pendule sur la liberté individuelle pour conduire le juge à envisager les conditions de désactivation du caractère privatif de liberté de la mesure en cause. Face à cette double problématique, transposable au demeurant à toute forme de privation partielle de liberté, la Cour de Strasbourg s’emploie tant bien que mal à faire la synthèse des visions divergentes des cours constitutionnelles en orientant in finele curseur sur les conditions normales d’existence. Elle estime à cet égard l’article 5 de la convention applicable chaque fois que la contrainte pesant sur la liberté de mouvement bouleverse à ce point les conditions de la vie quotidienne que les effets résultant de son application sont considérés comme étant comparables aux effets engendrés par une « détention ». À titre d’illustration, la Cour européenne a ainsi jugé que le degré de contrainte requis pour qualifier un placement en zone d’attente de privation de liberté fait défaut lorsque les étrangers impliqués « restent libres de mener leur vie quotidienne ». 

UN COUVRE-FEU INEFFICACE: UNE ATTEINTE AUX LIBERTES INDIVIDUELLES

Confinement, couvre-feu, demain peut-être rétentions sanitaires et judiciarisation des comportements sociaux irrespectueux des règles érigées au nom de l’urgence nationale. La méthode privilégiée dans la gestion politique de la pandémie se caractérise par une constante, celle de la répression nécessaire par refus de considérer que notre société est capable de responsabilité. Le discours martial n’est plus audible 4 mois après la sortie d’un confinement qui était annoncé par les instances gouvernementales comme le retour à la liberté. Le doute et plus encore la défiance à l’égard de la pertinence des décisions publiques affectent tant la recevabilité des admonestations moralisatrices que la crédibilité des prescriptions autoritaires. Car la pandémie est bien là, et pour un long moment. Le Conseil scientifique Covid-19 n’a pas attendu sa note d’alerte du 22 septembre 2020 pour proposer des lignes d’action prospectives qui ont fait l’objet d’arbitrages politiques en bien des points discutables. Les altermoiements, dès l’été, relatifs au port du masque, la désorganisation des dispositifs de test ainsi que les insuffisances dans le suivi des personnes contaminées n’ont pas contribué à rassurer là où déjà la cohérence et l’efficacité des pouvoirs publics étaient à l’épreuve. Qu’il soit impératif aujourd’hui de décider de mesures contraignantes au point de raviver les inquiétudes et les souffrances irréparables de la pandémie, est le signe d’une défaite. Emmanuel Macron aurait pu avoir l’humilité de reconnaître que la gouvernance sanitaire n’a pas été à la hauteur des enjeux mais pas de Mea Culpa . 

Prendre notre température à l’entrée d’un bâtiment, prendre nos coordonnées dans un restaurant pour pouvoir être contacté en cas de risque de contamination, mettre à disposition une application permettant le traçage des contacts, imposer le téléchargement d’une application de traçage, géolocaliser nos déplacements, isoler de force une personne infectée, un cas contact ou une personne rentrant de l’étranger, sont autant de mesures prises ici ou là en Asie et Océanie et qui ont été repoussées en France au motif « qu’elles remettaient en cause nos libertés individuelles ». Même les attestations de sorties nominatives à présenter en temps de confinement ont été critiquées, vues par beaucoup comme une intrusion dans leur vie privée. L’Etat d’urgence sanitaire avait initialement prévu un contrôle strict des personnes mises à l’isolement dont on sait qu’il est une clé à la réussite de la lutte contre la propagation virale. Mais le Conseil Constitutionnel s’y est opposé dans une décision rendue le 11 Mai 2020. Pour le premier, avocat membre de la Ligue des Droits de l’Homme, “l’État d’Urgence, est en train de se substituer à l’Etat de droit, on inverse, ajoute-t-il, la règle traditionnelle de la République, qui veut que la liberté soit le principe, et sa restriction, l’exception". En témoignent selon Arié Alimi l’entrée dans la loi en 2017 des mesures d’urgences prises en 2015, en témoignent aussi le transfert de certains pouvoirs judiciaires vers l’autorité administrative, "aujourd’hui c’est n’est plus le juge mais le préfet qui peut ordonner des mesures restrictives de libertés" . De son côté, la philosophe Julia Christ insiste : “le premier confinement l’a démontré, il existe un lien inextricable entre les libertés individuelles et les droits sociaux. “La sécurité, nous dit-elle, est une assurance sociale dont dépend notre liberté. Ne pas avoir peur de tomber malade, pouvoir manger à sa faim ou être éduqué sont autant de choses indispensables pour exercer sa liberté raisonnablement". Elle ajoute : “La sécurité qui restreint les libertés survient parce que la sécurité qui produit les libertés a été démantelée ”. Enfin, on peut citer l’historien Pascal Ory qui ne cherche pas à tirer de leçons du passé mais plutôt s’inquiète pour l’avenir après l’année écoulée. “En 2020, analyse Pascale Ory, une crise sanitaire majeure nous a rappelé la fragilité de nos démocraties libérales, (-) et Pékin a démontré l’efficacité à court terme de la mobilisation dictatoriale. (...) Si la présente prophétie écologiste est vérifiée, continue l'historien, avec son mélange d’anxiété sanitaire et d'angoisse climatique, l’hypothèse la plus probable est que l’ampleur du danger au lieu de conduire les sociétés humaines vers toujours plus d’autonomie et de participatif, justifiera l'instauration de régimes autoritaires”.

 

Imposé depuis mi-décembre à toute la France, le couvre-feu de 20h ramené à 18h puis à 19h n'aura pas suffi à contenir la pandémie de Covid-19. Alors que cette mesure suscite de plus en plus de critiques, le gouvernement défend son efficacité estimant qu'elle demeure une alternative au reconfinement national. Mais le nombre d'arrivées en réanimation ne baisse pas démontrant que cette mesure ne freine pas l'épidémie", explique l'épidémiologiste Catherine Hill. Alors pourquoi maintenir un couvre-feu inefficace ? Nous sommes aux limites de ce que l’autorité publique peut imposer aux français opprimés depuis un an par des mesures répressives. Aux Pays-Bas, le couvre-feu est vécu comme une atteinte à la liberté individuelle. Il est donc urgent de décider d’une autre intelligence de la gestion politique de cette crise sanitaire, sans quoi, on le sait, elle provoquera une crise politique alors que l’unité et la cohésion sont plus indispensables que jamais. Il faut démocratiser la gouvernance de cette pandémie, restaurer une démocratie en santé meurtrie par tant de dédain à son égard de la part de l'exécutif et arbitrer des choix loyaux et transparents dans le cadre d’une concertation impérative pour la protection et la liberté du peuple. Le gouvernement du peuple est celui par le peuple et pour le peuple (Abraham Lincoln, président des États-Unis de 1860 à 1865), ce qui n'est plus le cas avec l'état macronique gouvernant grâce au Covid-19 un peuple résigné à l'acceptabilité de mesures autoritaires incohérentes pour retrouver une vie "normale". Jamais un virus n'a fait vaciller toute une démocratie.

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