

NOS ENGAGEMENTS
La République en danger.
LE POPULISME
Rares sont les pays européens à échapper à leur progression. La France peut à cet égard être vue comme un précurseur. Le Rassemblement national, auparavant Front national, réalise en effet des scores élevés depuis maintenant plus de 30 ans, tandis que de l'autre côté de l'échiquier, le parti de gauche radicale La France Insoumise obtient des scores proches des partis traditionnels de gouvernement.
L'Italie se trouve dans une situation similaire avec plusieurs partis désormais bien enracinés pouvant être qualifiés de populistes. C'est le cas de la Ligue (Lega), située à l'extrême droite. Cette dernière formation a d'ailleurs récemment été au pouvoir, de juin 2018 à septembre 2019, aux côtés d'un "ovni" politique également populiste, le Mouvement 5 étoiles, toujours au gouvernement. Plus récemment, d'autres pays d'Europe occidentale et du Nord ont à leur tour connu une poussée du populisme : les Pays-Bas, la Suède, le Danemark ou encore l'Espagne. Des Etats qui figurent parmi les plus prospères du continent et réputés pour leur grande stabilité. Le lien entre vigueur du populisme et difficultés économiques et sociales n'est donc que partiel. En Allemagne, première puissance économique du continent, l'extrême droite (AfD) et l'extrême gauche (Die Linke) s'affirment également, même si cette progression est plus marquée dans les régions d'ex-Allemagne de l'Est, qui souffrent de la désindustrialisation. Ainsi, si le déclassement ou la peur de celui-ci sont bien des facteurs incontournables dans la progression des mouvements populistes, c'est également le cas des enjeux de souveraineté et d'identité. Les idées de "société fermée" et de "nation homogène" font partie des argumentaires de nombreux leaders populistes.
D’où souffle ce vent mauvais ? De manière générale, poursuit notre économiste chilien, on met en accusation l’économie et plus précisément la distribution des revenus. C’est vrai, le revenu médian stagne depuis une génération dans un certain nombre de pays. Ce sont souvent ceux où la crise financière a aggravé des inégalités de revenus. Du coup, après avoir été relativement consensuelle durant des décennies, la politique y est redevenue confrontation. Appelons cette hypothèse celle de l’insécurité économique. Mais si le problème était une simple affaire de revenus des ménages, la réponse serait simple, poursuit Velasco : il suffirait de taxer davantage les riches et de redistribuer les revenus de manière plus agressive. Quand on le fait, ça ne marche pas. Les plus récentes enquêtes sur l’élection présidentielle américaine et sur le vote en faveur du Brexit démentent cette hypothèse de l’insécurité économique. Au Etats-Unis, ce ne sont pas exactement les plus démunis économiquement qui ont préféré Trump, mais les plus démunis en diplômes. De même, si tout le populisme s’expliquait par la stagnation des revenus, pourquoi des pays en très forte croissance, comme les Philippines ou la Turquie y auraient-ils succombé ? Alors, d’autres analystes expliquent le populisme, par une autre hypothèse, celle du « backclash culturel ». Le vote populiste serait déterminé par les questions de race et d’immigration. Mais comment expliquer que les populismes centre-européens se soient emparés de pays comme la Pologne et la Hongrie qui non seulement performent plutôt bien sur le plan économique, mais n’ont pas d’immigrés. Cet argument ne tient pas davantage. Les taux de croissance annuels respectifs de ces deux pays sont de 3,3 et 2,1 % depuis 2010. Supérieurs à ceux de la France et même de l’Allemagne. Alors, on met en cause le chômage. Ca ne marche pas non plus. La République tchèque jouit du taux de croissance le plus élevé d’Europe (4,3 %) et du fait de cette croissance et le chômage y a pratiquement disparu. Et pourtant, au dernières élections les populistes ont doublé leurs scores. Quatre électeurs sur dix ont fait ce choix. Dans un pays où il n’y a pratiquement pas d’immigrés. Dans ces derniers pays, l’argument selon lequel le populisme est une réaction à la stagnation des revenus en une génération ne tient pas non plus la route. Depuis qu’ils sont sortis du communisme, ces pays se sont enrichis à un rythme qu’ils n’avaient jamais connu au cours de leur histoire. Certes, le Brésil constitue un cas différent. Il a subi une grave récession en 2015 et 2016, sous le second mandat de Dilma Roussef. Mais ce pays, sous la direction des gouvernements du PT avait bénéficié de politiques fortement redistributrices. Obama avait dit de Lula da Silva que c’était « le politicien le plus populaire de la terre ». Il est en prison.
Le populisme n’est pas le produit des difficultés financières des gens. Il est le produit de leur enrichissement. Si le populisme, poursuit Andres Velasco, reflétait une demande de redistribution accrue des revenus, ce seraient les populistes de gauche qui l’emporteraient. Or, ce sont presque toujours les populistes de droite qui gagnent : Trump, Bolsonaro, Duterte, Orban, Salvini… Et les derniers populistes de gauche encore en place, comme Nicolas Maduro, gouvernant des pays en faillite, sont bien près de la sortie; C’est pourquoi imaginer combattre le populisme et l’illibéralisme par des largesses sociales est une illusion. C’est, écrit Velaco, l’ultime hubris technocratique. Cette générosité est perçue comme insultante. Mais la vraie cause du populisme, ce ne sont ni les inégalités, ni l’immigration. C’est l’arrogance des élites. Dans certains cas, la majorité déteste l’establishment politique parce qu’il est corrompu (cas du Brésil), dans d’autres parce qu’à force d’exercer le pouvoir trop longtemps, ses détenteurs le tiennent pour un droit acquis. Alors oui, on a besoin de changement sur le plan économique, mais surtout de changement politique.
L'ISLAM TERRORISTE ET RADICAL
Chaque attentat ou simplement acte de violence attribué à un musulman relance le débat sur la place de l’islam en France, sur le voile et sur l’immigration. La réaction face au terrorisme chez certains hommes politiques et chercheurs médiatisés mène souvent à l’équation islam (ou courants islamistes) et terrorisme, en voyant en ceux-la le facteur primordial de la radicalisation conduisant au terrorisme islamiste. Pour un sujet aussi sérieux que le terrorisme, il est fort regrettable de constater l’absence de recul dans les débats. Du fait de l’orientation politique que prend souvent le traitement de la question du terrorisme et de la radicalisation, les débats tournent rapidement à la polémique, à l’analyse superficielle et affective, pour ne pas dire aux déclarations manipulatrices et xénophobes, de la part de spécialistes et de politiques, et ceci jusqu’au sommet de l’État, aux dépens d’analyses sérieuses et d’une réflexion dépassionnée. Nous souhaitons attirer l’attention sur les dangers de l’amalgame qui est fait, de façon délibérée ou non, entre l’islam et le terrorisme islamiste, et sur le basculement de la lutte sécuritaire et juridique contre le terrorisme et la radicalisation vers sa politisation. Nous allons essayer ici d’éclairer le phénomène terroriste en rapportant des faits objectifs et tenter de définir certains concepts et notions relatifs au sujet, comme la radicalisation, le djihad, etc. Il est certes indispensable de lutter contre le terrorisme et la radicalisation avec fermeté. En revanche, l’erreur de perception et d’appréciation de ces phénomènes conduit à une démarche inadaptée, voire contre-productive. Car nous constatons que la lutte contre le terrorisme et la radicalisation est dominée par l’amalgame – volontaire ou non – entre islam et terrorisme. Cet amalgame est fondé sur l’idée reçue selon laquelle l’islam est une religion foncièrement violente et porteuse d’une idéologie essentialiste, comme si l’appartenance à l’islam elle-même favorisait la radicalisation et le recours – dans le cas extrême – à la violence terroriste. Le glissement du débat sur les sources de la radicalisation vers le débat sur le voile et sur la place de l’islam en France en est la conséquence directe.
Il est tout à fait légitime de poser la question du rapport entre la religion musulmane et la violence, dans la mesure où le terrorisme islamiste de type al-Qaïda et État islamique (EI) se réfère à des textes coraniques ou à la loi islamique pour légitimer leur action. Mais rien ne justifie l’acharnement médiatique de certains politiques et intellectuels contre les musulmans, cultivant le doute sur la place de l’islam et des musulmans en France, et allant jusqu’à remettre en question la laïcité. On cherche à transformer la laïcité, qui devrait garantir le libre choix confessionnel et la neutralité de l’État vis-à-vis de toute les confessions, en un outil visant à limiter, voire violer, les droits de citoyens français de confession musulmane. L’autre paradoxe réside dans le fait que les autorités déclarent, d’une part, la guerre à l’islamisme (islam politique) et, d’autre part, font régulièrement appel au Conseil français du culte musulman (CFCM) – une institution cultuelle – pour intervenir dans les affaires politique et sociale des musulmans. Cette vision est bien évidemment soutenue par quelques travaux universitaires et journalistiques qui s’appuient sur une analyse alambiquée de certaines données et de certains faits, à partir desquels ils créent un récit vraisemblable sur l’origine du terrorisme islamiste et de la radicalisation, ainsi que sur les motivations des groupes djihadistes. Le salafisme est considéré comme une porte d’entrée sur le terrorisme islamiste. Ce dernier est ainsi défini comme l’étape extrême d’une radicalité religieuse. Pourtant, il n’existe aucun rapport ou étude sérieuse qui considère l’appartenance à la religion musulmane comme facteur déterminant de radicalisation. C’est une approche que nous jugeons superficielle et que nous souhaitons disqualifier en apportant un éclairage sur ces phénomènes de radicalisation et de terrorisme. Ce sont-là des notions dont la définition est fondée sur une lecture ancienne du terrorisme islamiste qui exclut l’évolution récente du phénomène : affaissement des idéologies, mutations et hybridations entre terrorisme et crime organisé, etc. donnant naissance à des groupes hybrides pour lesquels la référence au djihad relèverait moins d’une motivation que d’un discours de légitimation de la violence. Plusieurs études montrent pourtant que la majorité des jeunes djihadistes ne sont pas concernés par le fondamentalisme religieux ni n’avaient milité pour une quelconque cause dans leur vie. Ils sont plutôt majoritairement issus du monde de la criminalité et de la petite délinquance. L’appartenance à l’islam n’est qu’un facteur parmi tant d’autres qui accentue le sentiment de rejet et d’exclusion sociale et raciale dont souffrent les populations issues de l’immigration en France, majoritairement de confession musulmane.
Le discours djihadiste surfe justement sur ce sentiment de rejet avec la capacité de donner une orientation et une légitimation à la radicalité politique de ces jeunes, leur permettant de passer du statut de victimes et de marginaux à celui de héros. La propagande offre aux radicalisés la possibilité d’inscrire leur action violente dans un discours cohérent et idéalisé, même si les mobiles et les facteurs de radicalisation sont divers. Les dérives du débat actuel sur la radicalisation viennent tant de la méconnaissance du phénomène djihadiste que de la peur de l’islam et des musulmans. Cette peur trouve ses racines dans la pensée orientaliste et colonialiste qui considère que l’émancipation des musulmans induirait nécessairement le déclin de l’Occident : vision manichéenne qui survit aujourd’hui chez certains intellectuels et politiques d’extrême droite, des adeptes du « choc des civilisations » qui cultivent la confusion. En revanche, ce qui est regrettable est le fait que les autorités et de hauts responsables de l’État se prêtent à l’amalgame et à la stigmatisation des musulmans, allant jusqu’à inscrire le fondamentalisme religieux parmi les signes de radicalisation. On tombe ainsi dans une situation embarrassante : comment peut-on lutter contre la radicalisation sans stigmatiser la communauté musulmane ? C’est là justement que réside la contradiction dans la lutte contre le terrorisme et la radicalisation. Partant du postulat que la violence et le communautarisme sont des caractéristiques innées de l’islam, on considère que l’attachement pur et simple à la religion musulmane serait un chemin vers une radicalisation possible et vers la violence terroriste, en raison de la présence de textes coraniques faisant appel au djihad. Le terrorisme islamiste, dit djihadiste, ne serait alors qu’une conséquence d’une interprétation littérale du Coran. Par conséquent, les musulmans seraient plus susceptibles de se radicaliser que les autres.
Il faut donc traiter les racines du mal et non pas les symptômes. C’est ce que recommandent plusieurs rapports ayant traité de la situation des banlieues. Le dernier en date est le fameux rapport Borloo, remis par l’ancien ministre Jean-Louis Borloo, chargé par le président Macron d’une mission de la politique de la ville. Le rapport prévoit un ensemble de programmes et appelle à « un changement radical dans la conduite de l’action publique ». Mais aussitôt rendu, ce rapport tant attendu par les élus des villes concernées était enterré par le président Macron. Les mesures prises jusque-là en matière d’encadrement des mosquées et des établissements pénitentiaire, ainsi que sur la formation des imams, afin de lutter contre le discours radical pourraient bien évidemment renforcer la résilience de la population et immuniser les jeunes contre l’endoctrinement et le recrutement par les groupes djihadistes, mais elles sont loin d’apporter une solution au problème tant que les facteurs conduisant à la violence ne sont pas éradiqués.
La fracture la plus nette au sein de la population française est culturelle et non pas juridique : elle s'observe en ce qui concerne la place de la religion dans la société. Majoritairement acquis aux lois de laïcité, les Français de confession musulmane sont bien plus favorables que les autres à la visibilité du religieux dans l'espace public : 75 % approuvent le port de signes religieux pour parents accompagnateurs d’une sortie scolaire (26 % chez l'ensemble des Français), 69 % s'agissant des salariés du secteur privé (dont 78 % des musulmans de moins de 25 ans, contre 24 % de la population globale), et 63 % (contre 21 %) pour les agents du service public, ce qui reviendrait à revenir sur le devoir de neutralité religieuse des fonctionnaires. Particulièrement favorables à une forme de discrétion, les Français ne sont que 22 % à accepter le port de signes religieux ostensibles chez les usagers des services publics, une pratique pourtant tout à fait légale, et se prononcent même à 72 % pour l'interdiction de toute prière de rue ! Autre signe que, pour une majorité de musulmans, la laïcité peut clairement s'envisager “à la carte” : 81% se déclarent favorables à une loi autorisant les femmes à avoir droit à des horaires réservés aux femmes dans les piscines municipales, et 81 % à une loi autorisant le burqini dans les piscines publiques, deux propositions rejetées par plus de trois quarts des sondés.L'Ifop a enfin soumis une série de questions ayant trait à la lutte contre l'islamisme à son échantillon principal, interrogé après la mort de Samuel Paty : les chiffres de réponse des musulmans sont donc moins fiables que ceux de l'échantillon de 515 personnes questionné en août, mais certains écarts peuvent se révéler instructifs et confirment d'ailleurs les résultats des études les plus récentes. Ainsi, 75 % des Français dans leur ensemble, se déclarent favorables à « laisser aux enseignants le droit de montrer à leurs élèves des dessins caricaturant ou se moquant des personnages religieux afin d'illustrer les formes de liberté d'expression », contre seulement 36 % chez ceux de confession musulmane. Les dissolutions des associations islamistes BarakaCity et CCIF, approuvées par une forte majorité de la population (76 et 65 %), sont rejetées par deux tiers des sondés de confession musulmane. Enfin, alors que le tandem formé par Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène est remis en cause pour sa vision jugée trop complaisante, notons que 72 % des Français se prononcent pour « la nomination à la tête de l’Observatoire de la laïcité de personnalités engagées contre l’influence des intégristes religieux dans la société. » Chez les musulmans, les conceptions sont bien plus équitablement partagées : si 37 % ne sont « pas du tout d'accord » avec le fait de placer « la loi islamique » avant celle de la République, 38 % partagent au contraire ce point de vue… Une proportion qui atteint même 57 % chez les 18 à 24 ans, en hausse de 10 points par rapport à 2016. « La revendication d’un statut particulier avec des droits particuliers progresse fortement chez les Français musulmans, notamment chez les jeunes qui plébiscitent un modèle communautariste », soupire Jean-Pierre Sakoun, président du Comité Laïcité République, qui constate que « face au modèle communautariste culturellement dominant, propagé par les États-Unis, l’Union européenne et les pays musulmans, nos institutions l’école de la République peinent à faire valoir les qualités de la laïcité en matière de paix civile, de liberté collective et d’émancipation individuelle. » Il n'est dès lors pas étonnant de constater la multiplication d'incidents dans les écoles, puisqu'une majorité de jeunes musulmans semble ouvertement placer la charia avant la loi française.
Il est nécessaire et urgent de lutter contre le discours radical d’où qu’il vienne, mais il est dangereux de tomber dans le piège de l’amalgame entre religiosité et radicalité politique. Tout excès dans la réglementation de la sphère religieuse pourrait ainsi renforcer le sentiment de marginalisation, de stigmatisation et d’exclusion chez les jeunes fragiles au profit du terrorisme. Ce qui crée la situation délétère conduisant à l’attaque de la mosquée de Bayonne et à la série d’agressions que subissent des femmes voilées depuis quelques années, une violence qui pourrait mener le pays vers une dérive incontrôlable dans le futur. En somme, le terrorisme suit une logique opportuniste qui tend à exploiter les fragilités des individus comme celles des États ainsi que toute situation de conflictualité interétatique, interethnique ou autre, pour recruter ou renforcer son ancrage dans le pays ou la région. Il est certes nécessaire de renforcer les dispositifs sécuritaires et juridiques de lutte contre le terrorisme et la radicalisation, mais il est très regrettable de constater que la lutte est focalisée davantage sur le processus de radicalisation, c’est-à-dire sur comment les jeunes se radicalisent, que sur les racines et l’origine de cette radicalisation. Enfin, il est toujours aussi urgent de rappeler que toute confusion entre la religion et la radicalisation politique serait dangereuse. Cela risque de stigmatiser des musulmans dont certains pourraient perdre leur emploi ou subir toute autre forme d’injustice au seul motif de leur pratique religieuse, même rigoriste, et encourager ainsi leur basculement dans la violence. Enfin, il serait naïf de croire qu’on peut lutter contre la violence terroriste en mobilisant des imams dans les mosquées ou dans les prisons pour prêcher un islam « modéré » et non violent. Certes, cela peut marcher avec certains jeunes, à titre individuel, mais il est illusoire de considérer cette démarche comme un antidote miracle. Le jour où nous réussirons à convaincre les jeunes radicalisés que l’islam est une religion de paix, ils se convertiront tout simplement à une autre religion ou à une autre idéologie pour justifier leur violence.
LA FRACTURE SOCIALE
L’enquête réalisée par l’Institut Montaigne en 2019 comporte un très grand nombre d’indicateurs d’opinions et notamment tout ce qui concerne le rapport des Français au territoire et à la mobilité, à la fois géographique et sociale. Une telle masse de données, portant sur un grand nombre d’individus (10 010 répondants), ne peut être analysée sans recourir à de puissantes méthodes d’analyses des données. Les techniques de ce que l’on appelle "l’analyse géométrique des données" ont été utilisées pour condenser toutes ces informations. C’est ainsi que l’Institut Montaigne a mis à jour que le rapport des Français au territoire et à la mobilité pouvait se décliner en quatre groupes:
Les "Affranchis" (21%) pour qui la mobilité est positive et s’inscrit dans un détachement vis-à-vis du territoire. Il s’agit de personnes affranchies des contraintes territoriales et sociales, avec un important capital social et culturel qui leur permet de saisir les opportunités de mobilité.
Les "Enracinés" (22%) qui ont fait le choix d’un enracinement dans leur territoire. Ils sont heureux de "vivre au pays", dans un cocon local avec beaucoup de lien social, une sorte de bulle protectrice même s’ils sont concernés par les inégalités.
Les "Assignés" (25%) qui sont l’exact opposé des "Affranchis" : souvent dépourvus de capital économique, social ou culturel, ce sont des "assignés à résidence" qui endurent des souffrances sociales et sont coincés dans un lieu de vie ou une situation sociale difficile dont ils ne peuvent s’extraire
Les "Sur le fil" (32%) qui vivent une forte tension entre leur aspiration à la mobilité sociale et territoriale et une difficulté à s’affranchir de leur situation socio-économique et des inégalités territoriales.
Ces quatre types sont comme quatre "morceaux de France", chacun avec sa sociologie, révélatrice de véritables "fractures sociales" : le sentiment d’une France injuste et inégale est très présent dans nos données, particulièrement dans un groupe comme les "Assignés". L’un des résultats importants de notre étude est que les quatre groupes sont répartis dans toutes les régions, même si certains groupes sont bien sûr plus présents dans certaines régions que dans d’autres. Par exemple, on trouve beaucoup "d’Affranchis" en Île-de-France ou beaucoup "d’Assignés" dans le Grand Est, "d’Enracinés" en Bretagne. S’il existe bien en France des "fractures territoriales", certains territoires étant frappés par les inégalités, le chômage ou le retrait des services publics de proximité, la manière dont les Français se représentent leur rapport à la mobilité et au territoire est très clivée socialement. Fractures sociales et fractures territoriales se mêlent, les premières étant plus importantes encore pour comprendre les opinions que se font les Français à propos de leurs territoires ou de leurs possibilités en termes de mobilité géographique ou sociale. La question de la mobilité et de la capacité à prendre sa vie en main a été au cœur de la crise des Gilets jaunes. Le fort sentiment d’injustice sociale et fiscale s’est exprimé dès le début de la crise et s’est maintenu malgré l’évolution de cette mobilisation. On retrouve très largement cette donnée dans notre Baromètre : la promesse d’égalité et de justice sociale de notre pays n’est pas réalisée, selon les Français. La catégorie où l'on retrouve le plus de personnes exprimant leur proximité ou soutien pour les Gilets jaunes est celle des "Assignés", qui vivent leur enracinement comme une donnée subie de leur vie. Cette catégorie est celle qui est le plus objectivement en situation de souffrance sociale. La crise des Gilets jaunes et son explosion trouve ses origines dans la profondeur et l’enracinement de la fracture sociale française.
On trouve des Français qui se disent Gilets jaunes dans les quatre catégories de Français identifiées, certes dans des proportions moindres que parmi les "Assignés" mais cette diffusion dans les quatre catégories montre le caractère diffus du sentiment d’injustice sociale et/ou fiscale dans de très nombreuses couches de la société française. Sans gommer la réalité des fractures territoriales, les fractures sociales sont encore plus fortes et durement ressenties en France aujourd’hui. Par ailleurs, l'injonction à être mobile ("traverser la rue pour trouver un job") n'est pas nécessairement vécue comme un objectif positif par de nombreux Français qui vivent bien leurs racines locales. Etre enraciné localement ne veut pas nécessairement dire être "assigné à résidence", les deux notions ne se recoupent pas nécessairement. Il y a bien sûr d’importantes différenciations politiques des quatre groupes si on compare leurs votes de 2017 : les "Affranchis" sont beaucoup plus "macronistes" que les autres groupes. De même, parmi les "Assignés", on compte un très forte surreprésentation d’électeurs de Marine Le Pen et dans une moindre mesure de Jean-Luc Mélenchon. Parmi les "Enracinés", on trouve une distribution des votes de 2017 qui ressemble beaucoup à celle de l’ensemble des Français, mais avec une surreprésentation des électeurs de François Fillon. Enfin, les Français "Sur le fil" se distribuent assez largement comme l’ensemble du corps électoral. Les fractures sociales que notre typologie révèle trouvent un écho important dans les choix politiques. La crise des Gilets jaunes a fortement activé le sentiment latent d’injustice sociale et à mis en porte-à-faux la promesse macroniste d’émancipation. L’évaluation que feront les Français de l’action gouvernementale sur tout ce qui touche à l’égalité et à la préservation d’un modèle social auquel les Français sont très attachés jouera un rôle essentiel dans la période qui s’ouvre. Les attentes et les frustrations sont fortes en France mais tardent trop à trouver des réponses.
LES RETRAITES
Le gouvernement a lancé le 31 mai 2018 une grande consultation pour préparer une réforme des systèmes de retraite. Parallèlement une vigoureuse campagne de presse a été lancée dans les réseaux sociaux et la grande presse, notamment dans Les Échos, pour promouvoir un système par capitalisation. Techniquement ces deux projets apportent des perfectionnements au système actuel, mais n’abordent pas le vrai problème, à savoir fournir aux retraités non seulement de l’argent mais surtout des services.
Le plan gouvernemental
Ce plan, issu du programme présidentiel et confirmé devant la Cour des comptes le 22 janvier 2018, doit se traduire par une loi à déposer avant l’été 2019 pour être votée au 2e semestre. Cette loi ne touchera pas à l’âge de départ (62 ans), ni aux revenus des retraités, aux pensions de réversion et à ceux qui prendront leur retraite entre maintenant et 2024. Son objectif est d’atténuer la complication et les injustices des 42 (!) régimes actuels en instituant « une retraite égale à cotisations égales », ce que l’opinion considère comme un progrès vers l’équité. Tous les droits acquis dans les régimes actuels sont garantis, et seront transformés en points : « à 62 ans, les assurés auront la liberté de choisir de partir à la retraite ou pas, en fonction du montant des points acquis » : affirmait ainsi le haut commissaire à la réforme des retraites Jean-Paul Delevoye le 8 octobre, s’appuyant sur une promesse du programme présidentiel. Des points « de solidarité » seront attribués à la naissance du premier enfant, aux handicapés, aux chômeurs, à certains malades ou invalides et, point nouveau, aux aidants (ce dernier point répond partiellement à notre critique principale développée plus bas). Les fonctionnaires vont être intégrés dans le nouveau régime et cotiseront sur leur traitement et leurs primes, ce dernier point pour accroître leurs droits. Mais les enseignants ou les infirmières ou les aides-soignantes des hôpitaux publics touchent peu de primes et risquent d’être perdants. Les régimes spéciaux vont disparaître dont deux avantages : la pension basée sur le salaire des six derniers mois, et non sur les 25 meilleures années comme dans le privé et surtout les départs de 5 ou 10 ans avant l’âge légal pour les catégories « actives » : policiers, pompiers, conducteurs de trains, etc. Néanmoins « on pourra prendre en compte les spécificités de certaines situations ». Les indépendants devraient en principe cotiser comme les autres à hauteur de 28 % de leur revenu, contre 20 ou 25 % actuellement. Là aussi il y a eu promesse d’y remédier. Remarquons que l’adaptation à la démographie est un point encore flou : « l’âge pivot » de 63 ou 64 ans demandé par le MEDEF ( Les Échos du 8 octobre) pour les décotes et surcôte, ou l’évolution de la valeur du point ne seraient finalement pas évoqués, même pour les partants à partir de 2025. La CFDT a pris les devants (Les Échos du 10 octobre 2018) proclamant qu’il est hors de question de toucher aux droits acquis. Pourtant il serait tout à fait possible de s’inspirer de l’exemple scandinave : en Suède cette adaptation à la démographie a été intégrée au système défini en 1990 par un coefficient qui reflète l’espérance de vie chaque génération: quand elle s’allonge, il faut partir plus tard pour conserver un bon niveau de pension. Un collectif de hauts fonctionnaires a publié dans Le Monde du 26 octobre 2018 une tribune en sens contraire : « Réformes des retraites: les interrogations essentielles sont habituellement écartées du débat ». Ils y exposent que si les cotisations devaient toujours représenter environ 14 % du PNB jusqu’en 2070, alors que le nombre de retraités augmentera considérablement d’ici là, cela entraînerait une baisse de la proportion de la richesse nationale allant à chacun. Ce groupe demande donc d’augmenter cette part de la richesse via les cotisations pour ne pas pousser aux retraites par capitalisation, très inégalitaires. Les problèmes fondamentaux des retraites sont ailleurs: la préférence des Français pour les loisirs, et la démographie. Les deux sont des problèmes extrêmement concrets et loin des pétitions de principe.
Nous travaillons peu
Quand nous travaillons, nous faisons aussi bien que les autres pays développés. Mais nous travaillons beaucoup moins qu’eux. Notre productivité horaire est voisine de celle de l’Allemagne et des États-Unis, et supérieure de 25 % à celle de l’Italie et du Royaume-Uni, et de 35 % à celle du Japon. Mais notre PIB par habitant (43 000 dollars en 2017) est inférieur de 10 % environ à ceux du Canada et du Danemark, de 15 % à celui de l’Allemagne, de près de 20 % à ceux de la Suède et des Pays-Bas, de 30 % enfin à celui des États-Unis. Pourquoi ? D’abord parce que notre taux d’emploi est particulièrement faible : 65 % quand, dans presque tous les autres pays, il se situe environ 10 points au-dessus. Cela vient partiellement du chômage des jeunes. Certes les réformes en cours (droit du travail, formation professionnelle, apprentissage) visent à améliorer cela… mais à long terme. Cela vient aussi de ce que nous partons à la retraite nettement plus tôt qu’ailleurs : 62 ans contre 65 à 67 ans chez nos principaux concurrents. Ensuite, parce que, même pendant notre vie active, nous ne travaillons que 1.514 heures annuelles. C’est davantage qu’en Allemagne (1 356), où le temps partiel est très développé, mais nettement moins qu’en Suède (1 609), au Royaume-Uni (1 681), au Japon (1 710) au Japon, et aux États-Unis (1 780). Le travailleur moyen américain travaille pendant sa vie professionnelle 27 % d’heures de plus que son collègue français, ce qui explique pour l’essentiel la différence de PIB par habitant, à productivité horaire égale. D’après l’OCDE, le recul effectif de l’âge de départ est une condition nécessaire au redressement de notre appareil productif et au rétablissement des finances publiques. On ne peut avoir à la fois les loisirs et le pouvoir d’achat. Et non seulement nous travaillons moins, mais nous devons entretenir de plus en plus longtemps un nombre croissant de retraités. Dire que ces derniers ont des droits acquis, c’est-à-dire ont cotisé dans le passé n’enlève rien au fardeau sur ces jeunes : depuis 1970, l’espérance de vie a augmenté de 7 ans alors que l’âge légal de départ a reculé de 5 puis 3 ans. Ces années supplémentaires à la charge des jeunes ont fait doubler les cotisations. Les retraités d’aujourd’hui ont donc beaucoup moins cotisé que ceux de demain. Les frapper de la CSG au bénéfice de la feuille de paye des jeunes n’est donc pas un scandale. Si nous sommes dans cette situation, c’est du fait de la campagne démagogique de François Mitterrand en 1981 pour la retraite à 60 ans, qui coûte environ 100 milliards par an à notre économie.
Le problème n'est pas financier
Les hommes et les femmes qui quittent la vie active ne seront souvent pas remplacés dans certains métiers, notamment paramédicaux. Or, à quoi sert l’argent des retraites si l’on ne peut s’en servir pour se procurer ce dont on a besoin pour vivre ? En effet, l’augmentation du nombre de retraités se conjugue à une baisse du nombre d’enfants depuis 1973. Cela diminue le nombre de ceux pouvant faire tourner l’économie et notamment servir les retraités, en plus d’eux-mêmes et de leurs enfants. À âge de retraite constant, les compétences nécessaires aux retraités deviendront plus rares : une personne âgée coincée au 17e étage de son immeuble s’entendra répondre que le dépanneur est parti à la retraite. De même pour le personnel des maisons de retraite ainsi que celui de l’aide à domicile en milieu rural, tandis que la moitié des assistants maternels en exercice en 2016 sera partie à la retraite d’ici 2030. Une image pour résumer : un retraité a besoin d’un boulanger, d’une infirmière et d’un réparateur d’ascenseurs. On semble croire que l’argent lui permettra de les trouver. Pour les plus riches, oui, mais au détriment de tous les autres. Prenons le cas des infirmières. Elles prenaient autrefois leur retraite à 55 ans et devenaient introuvables. La solution a été de repousser leur date de départ à 57, 60 ou 62 ans suivant leur catégorie, moyennant une amélioration de leur situation financière. Une infirmière de 56 ans reste en pleine possession de ses moyens, et beaucoup ont anticipé cette évolution en passant du public au privé à leur retraite. Le plus simple serait donc de généraliser cet exemple.
La capitalisation: une impasse sur les hommes
Les milieux financiers font campagne pour la retraite par capitalisation: ils plaident pour une épargne individuelle confiée à des fonds de pension à l’anglo-saxonne. Les médias regorgent d’analyses indiquant qu’en plaçant son épargne dans un fonds rapportant 5 % par an, on s’assure individuellement, 45 ans plus tard, de pouvoir disposer d’une retraite égale à l’actuelle, mais pour des cotisations bien moindres. Ses partisans rajoutent que ce serait un moyen d’économiser des milliers de milliards pour regagner en compétitivité et réduire la dette nationale. Pour commencer, ce calcul est bien optimiste car il repose sur un rendement de 5 % en plus du taux d’inflation, donc sur une hausse continue du cours des actions et obligations et des taux d’intérêt réel moins faibles qu’aujourd’hui, ce qui est contradictoire, la hausse des taux faisant baisser les obligations. Mais c’est son moindre défaut. En effet, la pyramide des âges mine le système par capitalisation de la même façon que celui par répartition, même si ce n’est pas aussi directement évident. Car pour que les titres gardent leur valeur et leur rendement, il faut que les entreprises aient suffisamment d’employés dans les bonnes spécialités, et des clients. Or le vieillissement et la diminution du nombre d’actifs sont généraux dans le monde, sauf en Afrique subsaharienne qui n’est pas pour l’instant un réservoir de personnel qualifié ou de clients argentés. Les avantages de la capitalisation sont une certaine liberté (on investit ce que l’on veut et on s’arrête de travailler quand on veut… à préciser juridiquement toutefois), liberté en contrepartie d’un risque financier : la future pension dépendra des circonstances économiques et notamment boursières du moment. La vigoureuse campagne en sa faveur et la censure (je confirme ce terme) sur les mises en garde à ce sujet me semble nécessiter une réaction. Outre sa promotion par des financiers intéressés, la retraite par capitalisation reflète la division idéologique droite-gauche. Elle est un mécanisme individuel, alors que la répartition un mécanisme collectif. Or la répartition est politiquement manipulable pour favoriser tel ou tel groupe. Mais symétriquement, la capitalisation peut souffrir d’une offensive idéologique, et donc de taxes « contre les riches ».
Augmenter la productivité mais..
Les allergiques à l’augmentation de l’âge de départ en appellent à l’augmentation de la productivité. L’augmentation de la productivité vient des entreprises qui commencent par l’attribuer au personnel par des augmentations, aux actionnaires par des dividendes (ou par la hausse des cours de bourse) et surtout aux clients par des baisses de prix ou de moindres hausses sur les produits nouveaux. Les pouvoirs publics en annulent une autre partie en édictant des normes sans cesse plus sévères. En restera-t-il pour les retraités ? Pas sûr d’autant que cette augmentation de la productivité devrait être massive, de 100 % en Allemagne d’ici 2050, comme nous le verrons. Alors, puisque l’augmentation de la productivité ne suffit pas, et que l’on veut pas relever l’âge de départ, certains conseillent de favoriser l’immigration.
Faire venir des migrants mais..
Puisque nous manquons d’actifs, faudrait-il les faire venir de l’étranger ? Cette solution poserait deux nouveaux problèmes : la disponibilité des qualifications demandées et l’intégration des nouveaux arrivants, ces deux questions étant étroitement liées. En effet, les qualifications qui manquent en France manquent également à l’étranger. Il y a donc concurrence entre tous les pays du monde pour attirer certains profils. Les informaticiens, mais aussi le personnel médical, particulièrement nécessaire aux retraités. De plus attirer des gens qualifiés pille les ressources humaines des pays de départ, ce qui pose d’autres problèmes à long terme pour leur développement et leur stabilité politique. L’exemple allemand nous montre qu’il faudrait des dizaines de millions d’immigrants par pays. L’Allemagne est un exemple instructif par son vieillissement accéléré, et l’importance de l’immigration. En 2013, avant la vague migratoire récente, il y avait 44 millions de personnes d’âge actif pour 22 millions de retraités sur un total de 80 millions d’habitants. En 2050, il y aurait environ 29 millions d’actifs pour 29 millions de retraités, à âge de départ en retraite constant, soit un tiers de retraités en plus pour un tiers de production en moins. La conséquence mathématique directe est la nécessité d’une forte hausse de la productivité et du nombre d’actifs, donc de l’âge de départ et par conséquent de l’immigration. Le gouvernement allemand en a tiré les conclusions en remontant l’âge de départ à la retraite, qui va passer progressivement à 67 ans en 2029 et en ouvrant le pays à une immigration de plus de 2 millions de personnes depuis 2013. Il est trop tôt pour savoir si cette immigration a été une réussite. Elle comprend un bon nombre d’Italiens (ce qui aggrave le problème de l’Italie), d’originaires des Balkans et de Syriens. Une partie de la population, associations, églises, entreprises…, s’échine à faire progresser l’intégration culturelle et professionnelle (un quart des migrants serait au travail, il y aurait des conversions de l’islam vers le protestantisme…). Mais une autre partie de la population exprime sa colère en votant pour l’extrême-droite, ce qui a mené le gouvernement à freiner les entrées. Accueillir 2 millions d’immigrés reste mathématiquement très insuffisant : pour retrouver la proportion actif/retraités de 2013, c’est une quinzaine de millions d’actifs supplémentaires qu’il faudrait accueillir et intégrer professionnellement d’ici 2050. Il faudrait encore y ajouter leurs familles, ce qui nous mène à plus de 30 millions ! Il était donc effectivement plus sage d’augmenter l’âge de départ à la retraite. Les Anglais ont une pyramide des âges moins catastrophique que celle des Allemands, en partie grâce à une immigration continue depuis longtemps (Antillais, Indiens et Pakistanais, Européens notamment Polonais…). Mais ils sont néanmoins prudents : l’âge de départ va être relevé de 67 à 68 ans pour la génération née en 1970 et les retraites promises sont modestes, avec environ 800 euros par mois pour les personnes ayant cotisé au moins 30 ans. Les Anglais cotisent donc à des fonds de retraite privés, et surtout épargnent pour devenir propriétaires, ce qui leur évitera un loyer durant leurs vieux jours.
Transformer les vieux en jeunes
L’âge de départ est une donnée fondamentale non seulement de l’économie, mais de la vie tout court. Si la réforme en cours va dans le sens de l’équité, elle ne résout pas la question démographique. La plus simple est de « transformer les vieux en jeunes » en les conservant en poste plus longtemps ou en les reconvertissant vers un nouveau travail. Il faut retarder le début de l’inactivité en augmentant l’âge de départ ou en facilitant un cumul emploi-retraite, ou encore en « libérant » l’âge de départ, avec bien sûr une pension d’autant plus importante que l’on partira plus tard. Cette solution dispense du recours à l’immigration car seules les mesures démographiques peuvent répondre aux problèmes démographiques. Comme l’a fait la Suède, qui s’est également organisée depuis longtemps pour rendre le travail de moins en moins pénible pour les sexagénaires.
